Le camp de Jargeau
Mars 1941 – 31 décembre 1945
Dans le camp de Jargeau ont été enfermées, de 1941 à 1945, 1 700 personnes dont 1 200 nomades.
Par le nombre de personnes internées et sa durée de fonctionnement, Jargeau est l’un des plus importants camps d’internement de nomades en France.
Les familles (500 adultes et près de 700 enfants) sont entassées dans des baraques en bois, de 30 mètres sur 6, mal isolées, mal chauffées, sans aération, étouffantes l’été, glaciales l’hiver. Elles sont divisées en « cases » de 20 m² environ, ouvertes sur une sorte de grand couloir où se trouve un unique poêle. Les châlits, lits superposés, sont garnis de paillasses, le plus souvent sans drap. En août 1942, on peut estimer qu’en moyenne 8 à 9 personnes vivent dans chaque « case ».
Le camp est entouré d’une clôture de barbelés de 2 m de haut, doublée de rouleaux de barbelés de 1 m de large. Le personnel de surveillance, français, est constitué de gardiens auxiliaires recrutés par la préfecture du Loiret, ainsi que de gendarmes venus de la banlieue parisienne, puis à partir de septembre 1942, de douaniers du Sud-Ouest.
Des conditions d’internement effroyables
Le sol du camp est boueux, les sanitaires défectueux, les infestations d’insectes combattues de façon inefficace. Les conditions d’hygiène sont désastreuses. à cela s’ajoute une sous-alimentation chronique.
Dès l’automne 1941, des hommes, des femmes et des enfants doivent être hospitalisés à Orléans pour « cachexie », un affaiblissement général de l’organisme dû à une alimentation insuffisante.
On compte au moins 45 décès survenus entre mars 1941 et août 1944. Et parmi les 44 enfants nés au camp, huit n’ont pas survécu.
En août 1941, le préfet du Loiret qui gère les camps de Beaune-la-Rolande, Pithiviers et Jargeau, refuse les projets d’équipement sanitaire, parce qu’il s’agit de « nomades indésirables ».
À partir de 1942, des épidémies de rougeole et de typhoïde et des cas de diphtérie poussent l’administration à améliorer cette situation, leur extension hors du camp pouvant menacer la population environnante.
Une école primaire est installée dans le camp, équipée de mobilier emprunté aux communes environnantes et de manuels achetés par la préfecture. On y compte jusqu’à 5 classes. Les enfants suivent l’école avec assiduité, y reçoivent des deux institutrices bienveillantes quelques vêtements propres, du lait et des biscuits caséines.
La Libération de la France ne concerne pas les internés du camp de Jargeau.
Le 31 décembre 1945, les familles sont purement et simplement mises à la porte du camp, sans aucune prise en charge, sans subsides ni nourriture. Le Gouvernement provisoire de la République française, installé depuis septembre 1944, a continué d’interner ces familles durant 16 mois.
Aujourd’hui
De mars 1941 à décembre 1945, le camp de Jargeau a enfermé plus de 1 700 personnes : 1 200 « nomades » dont 700 enfants, 307 femmes considérées comme « prostituées », 90 personnes de situations diverses, étrangers « indésirables », internés administratifs et, pendant quelques jours, 132 réfractaires au STO.
Sur l’emplacement du camp a été construit un collège, situé entre la rue Serin Moulin et la rue des Déportés. Une plaque a été installée au sein du collège dans les années 1990. Une cérémonie a lieu chaque année le deuxième mardi du mois de décembre.
Avant la guerre, la famille Berck possédait deux camions et proposait des projections cinématographiques, principalement dans le Loiret et le Loir-et-Cher.
En juin 1941, Marceau, tout juste âgé de 7 ans, ses 8 frères et sœurs, son père et sa mère, sont recensés à Châlette-sur-Loing (Loiret), où ils sont assignés à résidence depuis plusieurs mois.
Le 25 juin 1941, ils sont arrêtés et envoyés au camp de Jargeau. Marceau témoigne de conditions de vie déplorables : les enfants meurent de faim et mangent ce qu’ils trouvent : herbe, plâtre, insectes. Maltraités, ils ont terriblement froid, dorment sur la paille, ne disposent que d’une couverture.
Juliette, sa mère, est hospitalisée à Orléans à deux reprises, du 16 au 30 mars 1942, puis du 4 mai au 4 juillet. Le 23 juillet, son père et ses trois frères aînés, Frédéric, Jacques et Léopold, figurent sur une liste de « volontaires » pour aller travailler en Allemagne. En réalité, on leur promet qu’en échange de leur départ, le reste de la famille sera libéré.
Le 17 août, ils partent pour l’Allemagne. Deux jours auparavant, Juliette et les six autres enfants sont effectivement libérés.
Si ce chantage au départ « volontaire » pour travailler en Allemagne a effectivement permis la libération de la famille de Marceau, et sans aucun doute de sauver la mère, cela n’a pas été le cas pour les autres familles qui devaient en plus réunir les conditions suivantes : avoir un travail, un logement fixe et l’accord du maire de la commune de résidence.
Sur cette photo prise dans le camp de Jargeau, Juliette Châtelin est avec trois de ses enfants, Georges, Félix-Léon (décédé au camp le 11 juin 1942) et Caroline. Emma Muntz, à droite, sort du camp en septembre 1943 pour aller travailler « volontairement » à l’usine d’armement de Salbris (Loir-et-Cher).
Elle est tuée lors d’un bombardement en juillet 1944 à Châtillon-sur-Loire (Loiret). Le reste de la famille n’a été libéré qu’en juillet 1945, après plus de 4 années d’internement.
©Archive privée Tdr.
Les carnets anthropométriques : un dispositif législatif discriminatoire et vexatoire
La loi du 16 juillet 1912 relative à la circulation des nomades oblige tout nomade, quelle que soit sa nationalité, à faire viser (avec l’indication du lieu, du jour et de l’heure) un carnet anthropométrique individuel établi dès l’âge de 13 ans, à l’arrivée et au départ de chaque commune. En 1926, ce carnet se double d’un carnet collectif et de l’apposition d’un signe discriminatoire sur les véhicules. En obligeant ces familles à voyager ensemble, ce carnet va paradoxalement contribuer à donner une identité collective à cette population.
À partir de 1940, ces fichages faciliteront l’arrestation de ces familles françaises.
C’est seulement en 1969 que la loi est abrogée et le carnet remplacé par le livret de circulation, dont la suppression est votée par l’Assemblée nationale en 2015.
Extrait du carnet anthropométrique d’Albert-Jules Weigel, marchand ambulant. Français, il combat dans les tranchées durant la guerre 14-18.
Il décède en 1933. Ses enfants et petits-enfants seront internés au camp de Jargeau. Bien que considérés administrativement comme des citoyens français à part, les hommes font leur service militaire et à ce titre participent aux deux guerres mondiales et à celle d’Algérie.