Les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande
Entre 1941 et 1943, 16 000 juifs dont 4 700 enfants sont internés dans les camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers. D’abord des hommes, arrêtés lors de la première grande rafle de juifs étrangers, la rafle du « billet vert », le 14 mai 1941. Puis des femmes et des enfants, à partir de l’été 1942. Placés sous l’autorité de la préfecture du Loiret à Orléans, les camps sont surveillés par des gendarmes et douaniers français. Après la rafle du Vel d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942 à Paris, 8000 juifs, principalement des femmes et des enfants, y ont été internés. Les mères sont déportées les premières, puis les enfants. 4 400 enfants ont été assassinés à Auschwitz après avoir été internés dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Huit convois sont partis directement du Loiret vers Auschwitz-Birkenau.
La rafle dite du « Billet vert »
Les 3 700 hommes qui arrivent à Pithiviers et Beaune-la-Rolande le 14 mai 1941 ont reçu la veille, une convocation individuelle – un papier de couleur verte – signée du commissaire de police, les « invitant à [se] présenter » à 7 heures du matin, munis de leurs pièces d’identité et accompagnés d’un proche pour « examen de [leur] situation ». Une simple formalité en apparence, à caractère obligatoire cependant : « La personne qui ne se présenterait pas aux jours et heures fixés, s’exposerait aux sanctions les plus sévères ». Environ 6 700 billets verts ont été envoyés à des hommes juifs étrangers (principalement de nationalité polonaise, tchèque ou apatrides). La liste des destinataires a pu être établie grâce au fichier du recensement effectué en septembre 1940, auquel a succédé le décret du 4 octobre 1940 associé au statut des juifs, donnant aux préfets le pouvoir d’interner les « étrangers de race juive » dans des camps spéciaux. Le jour de la convocation, six adresses parisiennes sont réquisitionnées, les policiers procèdent au contrôle des papiers et les gardiens de la paix assurent l’encadrement des milliers de convoqués. Les juifs de proche banlieue, moins nombreux, doivent se rendre directement dans les commissariats et postes de police. La personne qui accompagne se voit, quant à elle, chargée d’aller au domicile pour en rapporter une valise et des effets personnels. Munis de leurs affaires, les 3 700 juifs retenus au contrôle sont ensuite conduits dans des autobus vers la gare d’Austerlitz puis, sous la surveillance de policiers et militaires allemands, embarquent dans des trains de voyageurs à destination de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, à 90 km au sud de Paris.
L’internement en 1941
Les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, à 20km l’un de l’autre, sont les deux premiers camps d’internement de juifs de la zone occupée. Le camp de Pithiviers s’étend sur un terrain de cinq hectares, à cinq cent mètres du centre-ville. Celui de Beaune-la-Rolande occupe trois hectares à la bordure du bourg. Les hommes sont enregistrés un à un à leur arrivée, puis sont répartis dans des baraques en bois, disposant de châlits à étages recouverts de paille. Détenus dans des conditions difficiles : nourriture carencée, baraques insalubres et bondées, installations sanitaires précaires, les internés souffrent de l’isolement. Au cours des premiers mois, les visites des proches sont occasionnellement autorisées. L’envoi et la réception de courriers et colis sont réglementés et soumis à la censure. Le personnel de surveillance est entièrement français : des gendarmes, venus d’unités parisiennes, sont chargés d’assurer la sécurité extérieure du camp, des douaniers de la sécurité intérieure et des gardiens auxiliaires locaux s’occupent de tâches matérielles. Les corvées quotidiennes reviennent aux internés. Depuis le camp de Pithiviers, Isaac Schoenberg écrit à sa fiancée Chana et témoigne de l’ambiguïté qu’il perçoit de la collaboration: « Nos ennemis sont bizarres : tu demandes au Français, il te répond que c’est l’Allemand qui t’expédie au camp ; tu demandes à l’Allemand, il te répond qu’il n’a rien à y voir. La vérité, c’est qu’ils le font tous les deux, et que le Français cherche à surpasser son maître et le fait très bien ». Comme beaucoup d’autres internés, Isaac Schoenberg est d’abord convaincu que cet enfermement ne va pas durer. Au fil du temps, pour supporter le quotidien et s’occuper l’esprit, les internés organisent des activités : jeux, conférences, représentations théâtrales, tolérés par les gardiens. Des comités clandestins se forment pour établir des contacts avec l’extérieur. Certains internés obtiennent un « détachement » pour travailler hors du camp, dans des fermes et usines de la région. Ce travail profite plutôt au moral et à la santé des internés ; la nourriture et le couchage y sont souvent meilleurs que dans le camp. Bien que surveillés au-delà des barbelés, des internés tentent de s’évader au risque de poursuites. L’internement des « hommes du Billet vert » va durer plus d’un an, il répondait alors à une volonté d’exclure les juifs de la société française.
Les premiers convois et la rafle du Vel d’Hiv
Le 25 juin 1942, un premier convoi composé de 999 hommes part de Pithiviers pour Auschwitz. Puis un second, le 28 juin de Beaune-la-Rolande. Plus de 30 000 juifs sont déportés de France vers les centres de mise à mort pendant l’été 42. Depuis que les nazis ont établi les modalités de la « Solution finale» – projet d’anéantissement des juifs d’Europe – l’internement est une étape vers la déportation. Eichmann fixe l’effectif et les critères de juifs à déporter. L’objectif est transmis à la Préfecture de Police qui détient le fichier issu du recensement. Au terme des accords Oberg-Bousquet, il est convenu que la police française se charge elle-même des arrestations. La rafle de juillet qui se prépare prévoit l’arrestation 22 000 juifs à Paris. Les 16 et 17 juillet 1942, 4 000 policiers arrêtent plus de 13 000 juifs à leur domicile. Parmi eux, pour la première fois, des femmes, des enfants et des vieillards. 5 000 adolescents et adultes célibataires sont dirigés directement vers le camp de Drancy et les familles, plus 8 000 personnes, sont enfermées, dans le Vélodrome d’Hiver ; parquées plusieurs jours dans les gradins du stade, sans ressources. Puis, 7 618 personnes appelées sont transférées dans le Loiret.
Le sort des enfants
Les arrivées à Pithiviers et Beaune-la-Rolande, principalement de mères et d’enfants, s’échelonnent du 19 au 22 juillet. Le chef des SS d’Orléans et le préfet régional ont été informés des préparatifs de la rafle du Vel d’Hiv et des arrivées massives, mais les camps sont bondés. Joseph Biegelsein écrit le 28 ou 29 juillet de Pithiviers : « nous sommes 2 400 dans un hangar avec des femmes et beaucoup d’enfants, nous couchons par terre sur un peu de paille (…) des enfants se pissent et se vomissent dessus. Si nous devons rester 15 jours là-dedans, la plupart seront crevés, surtout les enfants ». La situation sanitaire est catastrophique. Des maladies contagieuses apparaissent. Des malades sont transférés par une voiture sanitaire de la Croix-Rouge à l’hôpital. L’impératif de déportation soulève la question du sort des enfants. Au conseil des ministres à Vichy, le 10 juillet, Pierre Laval avait annoncé avoir « obtenu – contrairement aux premières dispositions allemandes – que les enfants, y compris ceux de moins de 16 ans, soient autorisés à accompagner leurs parents ». Fin juillet, les nazis n’ont pas encore officialisé leur accord. Dans l’attente d’une réponse sur le sort des enfants, les mères sont déportées les premières par quatre convois successifs. Les séparations des mères et des enfants sont des « scènes abominables. On arrache de force les enfants aux parents », raconte Annette Krajcer, qui avait 12 ans lorsqu’elle fut séparée de sa mère. Les enfants restent dans le camp, certains sont si jeunes qu’ils ne savent pas encore dire leur nom. Quelques assistantes sociales et infirmières interviennent pour s’occuper d’eux. Marie-Louise Blondeau, Annette Monod, Madeleine Rolland, Micheline Cahen-Bellair, Adélaïde Hautval sont de celles qui ont aidé, alerté et témoigné. Le 13 août 1942, un télex provenant de Berlin annonce l’organisation de convois dans lesquels seront répartis les enfants. Accompagnés d’adultes. Du 15 au 25 août, quatre convois transfèrent 3 081 enfants vers Drancy, d’où, pour la majorité d’entre eux, ils seront déportés vers Auschwitz-Birkenau.
Les camps après l’été 1942
En septembre, il reste dans le camp des enfants malades dont les parents ont déjà déportés. La plupart est transférée à Drancy le 15 septembre et déportée le 18. Un dernier convoi part de Pithiviers le 21 septembre. Le camp se vide, les internés sont désormais rassemblés à Beaune-la-Rolande pour que le camp Pithiviers serve désormais à l’internement des communistes arrêtés dans la Région. D’octobre 1942 à juillet 1943, différentes « catégories » d’internés juifs sont enfermées à Beaune : personnes arrêtées pour ne pas s’être soumises à la législation anti-juive, « conjoints d’aryen », femmes et enfants de prisonniers de guerre. Malgré les faibles effectifs, la situation sanitaire et alimentaire ne s’améliore pas. Au printemps 1943, le camp fonctionne en vase communicant avec celui de Drancy : le sureffectif à Drancy est déplacé dans le Loiret, puis renvoyé à Drancy pour la déportation. Le 19 juin 1943, 102 personnes sont transférées de Beaune à Drancy. Aloïs Brunner, commandant du camp de Drancy, décide d’y regrouper les internés juifs et ordonne la fermeture du camp de Beaune-la-Rolande en juillet 1943. Jusqu’au 31 juillet 1944, la déportation des juifs de France se poursuit depuis Drancy.
Le 17 juillet 2022, le Mémorial de la Shoah a inauguré un nouveau lieu de mémoire, d’éducation et de transmission dans l’ancienne Gare de Pithiviers.
Pour en savoir plus…
Les 8 convois du Loiret
Du camp de Pithiviers | Convoi n°4 du 25 juin 1942 |
Convoi n°6 du 17 juillet 1942 | |
Convoi n°13 du 31 juillet 1942 | |
Convoi n°14 du 3 août 1942 | |
Convoi n°16 du 7 août 1942 | |
Convoi n°35 du 21 septembre 1942 | |
Du camp de Beaune-la-Rolande | Convoi n°5 du 28 juin 1942 |
Convoi n°15 du 5 août 1942 |